Comment traiter le fond des RH aujourd’hui ?
Nous avons tous vécu cette expérience : Rouler dans un long tunnel (en montagne par exemple) dont on ne voit pas l’autre extrémité. Sans être claustrophobe, comme une sensation désagréable d’enfermement et hâte d’arriver au bout. Rappelez-vous cette double sensation de soulagement lorsque l’on voit le bout avec la lumière de la fin du tunnel puis lorsque l’on surgit en pleine lumière à l’air libre.
Notre problème principal dans cette époque consiste à être dans un tunnel avec une sensation d’enfermement (confinements répétés, privations de libertés, crise de l’autorité, sensation d’être au bout d’un système…) avec aucune lumière de fin du tunnel. Les lumières artificielles éblouissantes du tunnel médiatique se succèdent se répétant sans cesse ne nous laissant que peu d’espoir de retrouver la lumière du jour et la liberté.
L’Ifop pour Consolab vient de publier des chiffres : 38 % des français seraient en situation anxieuse ceci représente 18 090 000 personnes sur une projection nationale ! Il est probable que ce chiffre ne reflète qu’une partie de la réalité. Les troubles du sommeil sont évalués à 38 % et les états dépressifs à 12 % ce qui fait en projection nationale 8 040 000 Français en dépression !
Comme Généraliste de Santé Globale en entreprise, je constate en effet tant l’augmentation du nombre de personnes qui consultent que l’élargissement des consultations à leur famille. Effectivement, les maux physiques, mentaux, relationnels explosent et c’est autant moins d’énergie et d’efficience à consacrer au travail.
Mes patients de tous âges et de toutes conditions qui sont des collaborateurs des entreprises ayant souscrit un contrat de santé globale entreprise, me remontent trois types de sentiments anxiogènes :
- Impuissance
- Colère
- Abandon
Je vais démontrer ci-après, l’impact majeur de ces ressentis et leurs conséquences individuelles et de groupe sur la bonne marche économique et sociale des entreprises.
Pour être efficient, tout collaborateur a besoin d’une base solide à trois points :
- Equilibre physique, mental, relationnel (santé globale pro et personnelle)
- Compétence et expression créative d’adaptation
- Cohérence et motivation relationnelle avec les collègues et la hiérarchie
Il est clair que le climat anxiopathogène national impacte l’équilibre personnel et rejailli sur la motivation et les relations professionnelles. Je constate que le brouillard qui occulte actuellement toute tentative d’un avenir constructif et serein participe chez la plupart à créer les sentiments décris ci-dessus. Les sentiments deviennent sensations qui deviennent symptômes qui créent les pathologies physiques, mentales, morales et relationnelles professionnelles et personnelles.
Qui oserait nier qu’un être en souffrance est moins efficient qu’un être équilibré et bien dans sa vie ?
Mais reprenons les trois sentiments pour comprendre leurs origines et leurs impacts sur l’entreprise.
Impuissance. Chez le salarié, le sentiment d’impuissance est l’un des pires pour la motivation à construire, innover, aller de l’avant. Mes patients me confient qu’ils ne croient plus en l’autorité des dépositaires publics, médiatique, mais que ce sentiment touche également l’autorité en général. Ils travaillent par nécessité et la passion est un vague souvenir enterré dans les oubliettes d’un passé plus motivant. « Que voulez-vous que l’on fasse puisque l’ennemi est invisible et que le pouvoir et les médias se contredisent sans cesse ? ». La distanciation sociale prônée par les dirigeants (contre laquelle j’ai écrit dans mon précédent article « le Syndrôme du confinement ») n’aurait jamais dû voir le jour car elle est socialopathogène par nature. Seule la distanciation physique est acceptable pour ne pas briser le lien qui uni les gens entre eux au travail comme chez eux. Nous avons déjà eu un exemple voici quelques années avec la loi anti-tabac qui crée des espaces Fumeurs et Non-Fumeurs opposant les deux catégories de personnes. A cette époque j’avais déjà proposé un vocable non séparatiste « Espace avec et sans tabac ». Evidemment la sourde oreille institutionnelle avait causé des affrontements nombreux entre les deux camps. Il est aisé de comprendre que le sentiment d’impuissance est antinomique avec celui de motivation et de passion au travail et dans la vie.
Colère. La colère peut, à l’inverse, être un sentiment moteur si on
lui assigne un objectif à potentiel gagnant. Hors, comme l’impuissance est
dominante comme démontré ci-dessus, la colère devient « une colère
sourde » qui ronge le corps, l’esprit et l’âme. Dans ces conditions, il
devient difficile de donner le meilleur de soi puisqu’une partie de soi est
utilisée pour résister à la pression sans action possible. Dans une crise de
l’autorité majeure, cette colère peut se retourner contre la hiérarchie de
l’entreprise, à fortiori, si le collaborateur à des sentiments d’actions
injuste du management. Il est dont nécessaire ici de constater que le nombre de
collaborateurs insatisfaits du management augmente souvent à cause d’un petit
nombre de « Pathomanagers ». Ceux-ci, à l’instar des personnes qui
violentent des personnes faibles ou inférieures dans le cercle familial
exercent leur pouvoir coercitif dans les entreprises en toute impunité. Cette
démonstration a pour objet une prise de conscience des responsables
d’entreprise qu’un être humain ne peut longtemps résister à plusieurs facteurs
internes et externe de pression sans atteindre profondément son intégrité
morale, mentale et physique. Le sentiment d’impuissance allié à celui de colère
est un mélange explosif aussi dangereux que le plastic et son détonateur.
Abandon. Dans une situation de crise économique et sociétale majeure, les personnes en situation anxiopathogène finissent par « démissionner ». Ils abandonnent ce en quoi ils croyaient : racines, valeurs, espoirs du meilleur. Dès lors, la résignation assortie de son cortège d’automatismes de survie prend le pas sur l’initiative, la création de relations humaines de qualité avec autrui. Les replis sécuritaires sont des « réflexes de crabe » qui annihilent tout ou partie de nos capacités d’adaptation. En période de danger, la spontanéité fait place à l’instrumentalisation relationnelle, le mensonge utile à la vérité. Qui n’a jamais entendu en classe alors que l’enseignant pointait une sottise accomplie par un élève désigné « C’est pas moi c’est lui M’sieur ! ». Dès lors, on trouve une équation redoutable qui nuit à l’équilibre de nos entreprises mais également au pays tout entier :
= Peurs, délation Individualisme |
Abandon (des valeurs) + Démission des responsabilités + Instrumentalisation des relations
Distanciation sociale
Conclusion. Dans ce contexte déjà difficile pour les dirigeants comme pour leurs collaborateurs, plus que jamais, il est nécessaire de ne pas laisser s’installer un séparatisme fondé sur la défiance des pouvoirs et la montée des individualismes.
Rappelons, ici, que les articles L4121-1 et L4121-2 du code du travail font obligation aux dirigeants de l’entreprise de veiller à la santé mentale et physique des collaborateurs (y compris eux-mêmes). Ceci peut être considéré comme une pression supplémentaire ou comme une opportunité de mettre enfin en place une Responsabilité Sociétale de l’Entreprise (R.S.E.) non seulement déclarative, ce qui est la plupart des cas mais aussi Structurelle. C’est à dire portée par chacun parce que l’entreprise aide chaque collaborateur mais également leur famille à passer et à surmonter ces moments difficiles. Dans cette optique, le dirigeant devrait faire preuve d’imagination et surtout sortir des sentiers battus car l’innovation est plus pertinente que le repli sécuritaire.
Voici une Etude sur 100 patients en entreprise que j’ai interrogés pendant les 6 derniers mois sur les 6 valeurs les plus indispensables qu’ils demandent à leurs dirigeants pour avoir confiance :
Leader, charismatique, humain, courageux, innovant, franc, fiable, vrai.
Ils ajoutent dans leur grande majorité que toute bataille de l’EGO des managers doit être exclue pour avoir confiance. En d’autres termes, ils prônent des personnalités équilibrées, saines, fortes et capable de choix motivant qu’ils savent expliquer, et qui rallient la majorité. Ils demandent également des preuves autres que financières de l’intérêt que les dirigeants leur portent.
Pour ce faire il semble nécessaire de sortir de la communication pour entrer dans la relation. Dès lors, toute tentative de grande charte R.S.E. est apparentée à de la « Com ». La réelle prise en compte de leur santé physique, mentale et morale non par petits bouts mais comme un ensemble cohérent devient dès lors un acte concret R.S.E. qui s’inscrit dans une vraie stratégie RH. Ceci afin de leur éviter d’engorger leurs médecins généralistes qui prescriront des anxiolytiques, antidépresseurs avec leur cortège d’arrêts de travail ce qui ne résout pas le problème de fond. Mais au-delà de ce geste, la protection de leur famille est déterminante car la prise en compte de l’environnement affectif est une action forte concrète qui s’adresse à la racine de la personne avec des résultats probants. Quand la société entière souffre, l’entreprise peut devenir, dans son propre intérêt le « Zorro » de ceux qu’elle emploie.
Adapter les RH à la période
demande d’aller au-delà des nouvelles méthodes de management qui ne traitent
que la partie émergée de l’iceberg humain, donc la forme et non le fond.
Certes en cette période insécure, l’innovation entreprise par les RH est apparentée à un risque supplémentaire. Pourtant, le film « Apollo 13 » démontre que seule l’innovation de quelques-uns a permis de sauver les 3 astronautes en difficulté. En restant dans la lecture des manuels, en restant « into the box », dans un attentisme prudent, nos entreprises risquent d’étouffer leurs collaborateurs qui ont déjà du mal à respirer avec leur masque…
A votre écoute pour échanger à propos de ce texte.
Prenez soin de vous comme de ceux dont vous êtes responsables.
Jean-Christian Wilmes.
Généraliste de Santé Globale. Professeur de Santé Globale Entreprise Institut Magellan Paris
jcwilmes@@valoriance.fr